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Notes


Textes et musiques...

Deux façons de raconter la même histoire.
 

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 16:06

Malgré le froid vif et cuisant, je me promène le cœur léger dans les allées du parc enneigé. Je rêvasse.


Il se trouve qu’à un moment, un gars se trouve sous mon nez. Il m’agrippe le col.


« Tadlatu, tadlatu. »


Je ne comprends pas bien ce qu’il dit. Un étranger ?


- Bonjour, que je lui dis aimablement, je peux vous aider ?

- Tadlatu, tadlatu ! qu’il répond.


Il a l’air assez énervé, pas très poli en tout cas. En fait, je me rends compte qu’il me tient, et qu’il ne me lâche pas. Ses gros yeux roulent bizarrement de singulières spirales dans leurs orbites sombres et creusées. Une petite rafale de vent rabat la neige du peuplier voisin sur nos têtes, en fines particules vaporeuses et glacées.


- Do you speak English, que je lui demande ?


C’est un peu idiot d’ailleurs, car y speak moi-même très mal l’English, mais sait-on jamais, ça peut faire progresser les choses. En attendant, il est toujours suspendu à ma gorge. Sa main se lève, puis se ferme comme s’il voulait attraper un flocon. Son poing s’abat violemment sur ma joue. Je recule sous je choc, titube un peu.


Il m’a frappé ! Je suis très étonné. Quelle drôle d’idée ! Un instant je me demande s’il na pas glissé. Mais non. Il n’a pas l’air de regretter son geste. Pas d’excuses, en tout cas, il continue à grommeler « tadlatu tadlatu ». Puis il sort quelque chose de sa poche : c’est un cutter. Il en fait glisser la lame sur toute sa longueur. Il est fou, que je me dis. C’est SUPER DANGEREUX de manier un cutter comme ça ! Il s’avance de nouveau vers moi : « tadlatu tadlatu !». A mieux l’écouter, on dirait plutôt « tadlatune »... C’est un mot étrange, peut être à cause du manteau neigeux, cela me fait penser à « au clair de la lune ». Au clair de la lune-tadlatune. En attendant, mes lunettes sont de guingois. Je les prends, et les mets vivement dans ma poche.


C’est à ce moment que j’éprouve une curieuse sensation. Un certain malaise, comme dirait marc Ducret. J’ai l’impression que quelqu’un m’appelle dans le lointain, comme si l’on tentait de me réveiller. Je regarde mon interlocuteur avec un œil nouveau, et enfin mon cerveau détecte et interprète correctement les signaux aveuglants émanant de la bête prête à bondir.


« T’as de la thune ? » Tout est clair d’un seul coup. Il s’élance mais cette fois, je pare le coup. Le cutter tombe dans la neige.


Je tourne le dos, et je cours, je cours… à toutes jambes je m’enfuis.

 

Agression

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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 22:58

Il n'y avait plus grand monde dans la salle, vu l'heure. Je tardais à me décider. Mon dernier verre était encore à demi plein, mes yeux piquaient. 
J'ai croisé son regard alors qu'elle filait vers la sortie, sac en bandoulière. Je l'ai reconnue, elle faisait partie de la troupe, bonne actrice, espiègle et malicieuse. Elle a bifurqué vers moi. J'ai cru qu'elle me confondait avec quelqu'un.

- Je peux ? 

J'ai fait un vague geste, hésitant, flou et évasif, cela ne l'a pas empêchée de s'asseoir en face de moi.

- Le spectacle vous a plu ?

Le spectacle ne m'avait pas particulièrement plu. Mais comme je n'aime ni mentir, ni blesser inutilement, je me suis contenté d'un nouveau geste vague, hésitant, flou et évasif.

- Ne baratinez pas, hein !
- Non, non.

Je n'ai rien dit d'autre, il faut croire que je n'avais pas grand-chose à dire. Elle n'a pas eu l'air de remarquer mon silence.

- Donnez-moi votre main, je vais vous lire l'avenir.

Cela peut paraître surprenant, comme requête, et ça l'était. Mais il faut ajouter - je ne sais pas si cela rend sa démarche plus ou moins surprenante - que c'était une phrase qu'elle prononçait dans le spectacle, dans des circonstance analogues : en abordant un inconnu.

- Hum, ne rejouons pas la pièce, ai-je dit.

D'autant plus que dans la pièce, elle prédisait à l'inconnu un bonheur imminent, et que celui-ci se faisait flinguer quelques minutes plus tard.

- C'est une mise en abîme en temps réel, ça vous ne vous arrivera pas souvent. Alors ?

J'ai tendu ma main, en trouvant le jeu rigolo, et plutôt satisfait de la tournure imprévue que prenait ma soirée. 

- Vous avez une main...  une belle main.

Bon, un compliment, pourquoi pas, voilà qui m'autorisera à lui en faire en retour, me dis-je. Mais elle ajouta :

- Une main soignée, mais un peu rustre quand même. Enfin... burinée. Vous êtes un manuel ?
- Tout dépend de ce que vous entendez par manuel, répondis-je un peu refroidi. Mais cela ne m'apprend pas grand chose sur mon avenir.
- Tututut, pour voir l'avenir, il me faut comprendre le présent.

Elle continuait à examiner ma main, son index effleurait ma paume et traçait des lignes invisibles ; cela me chatouillait un peu.

- Pas d'alliance ?
- Je vous ai donné ma main droite.
- Mais j'ai aussi regardé votre main gauche.

Elle est fine, pensais-je.

- Pas d'alliance... comme vous. 

Elle sourit en levant son doigt, comme pour me réprimander, puis reprit son examen. 

- Oui, vous êtes un manuel... Votre main est assez épaisse et très musclée... mais vous en prenez soin... pourtant vous n'êtes pas coquet : vos ongles sont courts, mais pas très biens coupés... Votre peau est assez lisse... derrière cette rusticité, il y a de la délicatesse. vous jouez d'un instrument de musique ?

Devant cette avalanche de propos contradictoires,  j'étais à la fois épaté et dubitatif.

- Un instrument de musique ? 
- Oh, ne dites rien si vous ne voulez pas ! Bon, j'y vois plus clair, passons à l'avenir... Je vois... voyons... une continuité... pas d'obstacle... un horizon dégagé... Oh, qu'est-ce cela ?

Elle approcha son nez comme si elle avait vu un petit bouton suspect.

- On dirait... Je vois... Je vois... Une femme.
- Une seule ?
- Oh, ça je n'en sais rien, mais en tout cas j'en vois une qui se détache, qui débarque, comme ça, d'un seul coup d'un seul, et qui met une sacré pagaille.
- Ah.
- Oui.

Elle me souriait gentiment, et repliait mes doigts dans ma paume, comme pour me dire que la consultation était terminée.

- Et, que voyez-vous d'autre... en ce qui concerne cette femme ?
- Hum, c'est flou. Vous savez, dès lors que l'on voit une femme dans la main d'un homme, l'avenir devient tout de suite très flou.
- Vous aviez dit voir une continuité,  un horizon dégagé...
- Oui, avant. Mais je n'avais pas vu cette femme. Une femme, cela change tout, c'est comme ça, on n'y peut rien.
- Bon, bon... mais avez-vous un conseil à me donner ?
- Un conseil ?
- Oui, une recommandation, quelque chose... 

Elle regarda de nouveau ma main.

- Je vous conseille... d'être audacieux. 

Pendant un moment, je restais immobile, laissant ma main inerte dans la sienne. Puis progressivement,  ma main burinée et délicate, tout à la fois - fallait-il le croire ! -, ma main s'anima, et prit la sienne.

- Votre main est douce, dis-je. Elle sent bon, dis-je encore en la portant à mes lèvres. Votre visage est tendre, très expressif, pétillant de santé, dis-je en avançant ma main vers ses joues. Vos cheveux sont en parfaite harmonie avec votre visage, ils tombent dans votre cou avec une grâce désinvolte. Vos seins sont... tellement féminins et prometteurs...

Et bien sûr, ma main suivait le parcours. 

- Je vous ai conseillé d'être audacieux, pas d'être téméraire !

Mais elle souriait encore. Elle prit de nouveau ma main dans la sienne, et entrelaça nos doigts.

Une femme dans ma main

 


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5 avril 2009 7 05 /04 /avril /2009 16:00

Bal

 

En cette fin d'après midi, je déambule sous les lampions, sous les guirlandes de grosses ampoules rouges, jaunes et bleues, dont quelques unes ne fonctionnent pas. On se croirait un quatorze juillet dans les années cinquante, encore que cela ne soit probablement qu'une image anachronique due à mon imagination.

Il y a du monde sans que cela ne soit foule. De mauvais petits hauts parleurs accrochés aux branches d'arbre crachouillent des valses et polkas.

J'observe les gens, ça m'amuse. Je choisis mes têtes, les situations pittoresques.

...Un grand chauve, sec, qui mime en balayant l'air de ses longs bras un truc incompréhensible devant trois types pliés en deux...

...une dame stricte aux lunettes anguleuses, à l'air contrarié, qui officie en solitaire dans son stand, autour de petits cactus décorés...

...une jolie jeune fille noire, souriante, avec un chapeau melon, qui fait des crêpes et qui met beaucoup trop de sucre...

...un petit garçon d'environ trois ans, qui tient par la queue un dinosaure en plastique et qui refuse obstinément de dire bonjour à un gros moustachu grisonnant...

...un couple qui se dissimule maladroitement dans un renfoncement de verdure, la femme en robe de soirée et l'homme habillé en cycliste...

J'entre sous le chapiteau. Il y a là un vrai petit orchestre. L'accordéoniste joue en se dandinant. J'écoute attentivement ce qu'il fait, ses petites arabesques improvisées sont impeccables.

Des gens dansent la valse, d'autres boivent au bar, ou autour d'une table. Mon regard est attiré par une jeune fille ; ou plutôt par le tableau constitué de la jeune fille assise seule, de table en plastique pas très nette, et du verre de vin, dont elle parcourt le bord de l'index, comme s'il était en cristal.

Elle a l'air de s'ennuyer. Des gestes nerveux et impatients la trahissent. Je m'avance vers elle.

- Voulez-vous danser ?

J'ai failli dire "voulez-vous m'accorder cette danse".

Elle me dévisage un moment, hésite, se lève sans grand enthousiasme, mais en souriant tout de même. Je lui tends la main. Mais au moment même ou nos doigts allaient entrer en contact, elle a un brusque mouvement de recul. Son visage s'éclaire subitement. Elle passe vivement devant moi. Je me retourne et la vois aller se jeter dans les bras d'un homme. Je le reconnais, c'est celui habillé en cycliste. 

Je les regarde s'embrasser, puis partir rejoindre les danseurs. Ils valsent.

Je vais boire un verre au bar. Décidément, l'accordéoniste joue vraiment très bien.



Valse du cycliste et de la jeune fille au verre de vin

 

 

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5 mars 2009 4 05 /03 /mars /2009 21:17

 

Je ne l'ai pas vu arriver, d'un coup elle était face à moi, éclairée de la lueur bleutée des spots clignotants.

- Vous dansez ? 

Autour de nous, des couples étaient enlacés.

- C'est un slow, ai-je dit, bêtement. 

Elle a souri, m'a agrippé la taille, et s'est aussitôt collée à moi. La sono entonnait un air délicieusement kitsch. J'ai délicatement posé mes mains sur son corps, un peu étourdi. 

- Comment vous vous appelez ?
- Graham, ai-je menti. Un peu de prudence, un peu de jeu.

Elle a paru attendre que je lui repose la question, mais j'en suis resté là. Elle s'est approchée et a chuchoté à mon oreille : 

- Faites-moi danser, Graham.

Sa voix était claire, mais ne parvenait pas à dissimuler totalement la tension qui l'habitait. En fait de danser, c'est elle qui menait l'assaut, ondulant contre moi comme une sirène. J'accentuai un peu la pression de mes bras autour d'elle, mes mains touchant la peau de son dos que sa robe ne couvrait pas.

- Vous voyez le type, là, seul à la table ronde ?

Je regardai celui qu'elle me désignait du menton, un bonhomme qui me parut beaucoup plus vieux quelle, et j'opinai de la tête.

- C'est mon mari.

Ah, son mari. Comme par réflexe, je fus tenté de relâcher un peu mon étreinte, mais, prenant conscience du ridicule de ma réaction, je fis l'inverse.

- Il nous observe, dis-je.

Elle haussa les épaules.

- Il me trompe.

Bizarrement, c'est à ce moment que je me fis la réflexion qu'elle était décidément très séduisante. Son corps contre le mien commençait à produire de l'effet. Je me promis d'être vigilant.

- il me trompe avec une amie, je viens de l'apprendre à l'instant.
- Comment l'avez-vous su ?

Elle posa sa tête sur mon épaule.

- Il m'a dit quelque chose qu'il ne devait pas savoir... Il s'est trahi, comme un imbécile.
- Vous n'avez pas l'air vraiment bouleversée par cette révélation.

Ce qui n'était qu'à moitié vrai, d'ailleurs.

- Ca fait un moment que ça déconne entre nous.
- Je trouve que la musique colle parfaitement à la situation, vous ne trouvez pas ?

Elle me regarda d'un drôle d'air. Pourquoi avais-je dit ça ? Dans le genre propos décalé, ce n'était pas très malin, mais cela correspondait pourtant parfaitement à mon sentiment.

- Venez, dit-elle.

Et elle m'entraîna vers la sortie. Je me laissai faire, docile. Nous fîmes quelques pas à l'extérieur, dans l'obscurité grandissante à mesure que les rumeurs de la salle s'estompaient et que nous nous rapprochions des arbres. Jugeant sans doute que l'endroit était approprié, elle se retourna, et, sans surprise, m'embrassa. Je me prêtai à la chose avec toute la volupté dont je me sentis capable. Mes mains froissèrent sa robe et effleurèrent la dentelle. Quelques soupirs naquirent de part et d'autres. Cependant, lorsqu'elle s'agenouilla, et que ses mains agrippèrent mon ceinturon, je la pris par les poignets et la forçai à se relever.

- Vous ne voulez pas faire l'amour ?

Elle avait une intonation naïve et fraîche. Je ne voulais pas lui faire de peine, encore moins l'humilier, car je savais que cela n'était pas facile pour elle.

- Vous êtes charmante, et il serait certainement très agréable de faire l'amour avec vous.

Je laissai le silence faire un peu son oeuvre conciliatrice.

- Alors ?
- Alors, disons que je préfère renoncer aux plaisirs que vous m'offrez... Pour gagner votre estime.
- Mon estime ?
- Disons, éviter votre mépris.
- Je ne comprends pas.

En fait, dans sa voix, dans son regard, dans toute son attitude, je voyais que nous nous étions compris.

- Je sais que votre mari n'est pas loin. Je sais qu'il nous observe. Je crois savoir pourquoi vous faites cela.

Le plus difficile restait à dire, j'aurais pu en rester là, mais j'avais envie d'aller jusqu'au bout.

- C'est peut-être un jeu érotique entre vous et votre mari, mais... Vous savez, je pense avoir senti que vous n'aviez pas vraiment envie de faire l'amour avec moi. Je pense que c'est votre mari qui vous impose cela, peut-être parce qu'il a du mal à...
- Taisez-vous.

Je me tus, puis je repris, en tachant de plaisanter un peu.

- Je n'ai rien contre les jeux érotiques, mais disons que je préfère en être l'instigateur plutôt que le dindon de la farce.

L'air doux nous enveloppait, et la situation se détendait lentement. Ma compagne avait un petit sourire triste et penaud. Je la trouvai soudain très jeune et très démunie.

- En tout cas, dis-je, je n'oublierai pas ce slow dansé avec vous.
- Merci.

Sa main caressa une dernière fois ma joue, avec une sincérité toute neuve, puis elle se détourna. Je la suivi des yeux un moment. J'avais cette musique kitsch dans la tête, et je me sentais léger.


Slow

 

 

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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 23:31

 

La mariée était en blanc et le marié en gris. Il y avait des fleurs plein la cathédrale et des particules sur les cartons d'invitation.

Je leur avais balancé une marche nuptiale en guise d'entrée, à fond la caisse, comme de juste. Il fallait ab-so-lu-ment que les grandes orgues sonnent. Sous les doigts d'un vrai musicien, enfin d'un qui sache jouer. Avec les pieds aussi.

- Merci madame la C., très flatté. Quel programme ?
- Quoi, quel programme ?
- Si vous voulez, je peux rencontrer les futurs mariés pour les aider à choisir les morceaux qu'ils veulent entendre, ça se fait.
- Oh mais, vous pensez, ils n'ont ab-so-lu-ment pas le temps !

Ce que je voulais, on s'en fout, on connaît pas. Un truc qui en jette, qui fasse grandiose, qui fasse solennel, qui fasse riche, qui fasse ils eurent beaucoup d'enfants. Mes respects Madame la C.

Du haut de la tribune, je voyais les choses se dérouler avec la rectitude qui convenait. La chorale paroissiale avait été mobilisée et venait d'interpréter un chant choisi par la Madame la C. (un truc parfaitement nunuche,  horriblement harmonisé, qui avait été chanté lors de son propre mariage avec Monsieur le C. il y a de cela vingt trois ans, et donc pour sa fille, ce serait wonderful si on pouvait le chanter aussi.)

Une jeune fille de la chorale est sortie des rangs et s'est avancée vers le micro pour lire un texte. C'était prévu dans le film, encore un souhait de la C.

Lors de la répétition, deux heures avant la cérémonie j'avais assisté à la désignation - au hasard - de la lectrice par le chef de choeur. C'était tombé sur une jeune fille qui revenait toute fraîche, le matin même, d'un voyage d'étude.

Sa voix claire a rempli les murs. 

"L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas..."

 Elle lisait avec application, avec rythme, en faisant des pauses. Les ailes d'un pigeon ont claqué brièvement et le silence s'est reformé.

"Il ne plastronne pas, il ne se gonfle pas d'orgueil..."

Une imperceptible variation de timbre m'a alerté. Elle a brièvement regardé devant elle, a chassé une mèche tombant sur ses yeux.

"Il ne fait rien de laid..."

Sa voix s'est tue. Trop longtemps pour une pause. Elle regardait fixement devant elle et ses mains se sont mises à frémir. Les gens ont quitté leur air recueilli, ont relevé la tête, pour regarder plus attentivement d'où venait cette voix qu'ils n'entendaient plus. Le marié a soudainement sursauté. La mariée a tourné vivement la tête vers lui. Des regards ont jailli de partout. Madame la C. dressant son cou, scrutant l'espace comme un serpent, Monsieur le C. se penchant d'un côté et de l'autre... toute la cathédrale s'est vue traversée de faisceaux de regards, dont j'aurais pu, de la tribune, dresser la cartographie. Tous ont vu le marié pâlir, et elle, la lectrice, le fixer, immobile et stupéfaite.

Une sourde rumeur montait des piliers. La lectrice a tenté de se reprendre.

"Il  ne fait rien de laid, il..."

Mais sa voix avait maintenant la fragilité vacillante du sanglot. Le marié a baissé la tête et la mariée lui a demandé quelque chose en lui donnant  des coups de coude. La lectrice s'est redressée dignement, a montré sans honte les larmes sur son visage. Elle a respiré un grand coup pour dire une dernière phrase.

"L'amour ne fait rien de laid."

 
Puis elle est descendue de l'autel et a traversé la nef, vers la grand porte. Ses pas ont claqué sur la dalle, lentement, puis de plus en plus vite alors qu'elle se mettait à courir.

Je suis retourné m'asseoir à la console. J'ai tiré les
pleins jeux et j'ai fait résonner la cathédrale de toute la puissance de l'orgue.


La lectrice et le marié

 

 

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 19:08

Ligne droite. Difficile de la louper ; de très loin déjà je la voyais comme émerger du bitume, des vapeurs de chaleur. Petite tache de couleur empiétant sur la chaussée, puis de plus en plus précise : une fille. Je ne roule pas vite, je m'approche, elle ne modifie pas sa pose, n'agite pas son pouce. Ok, je la prends. Je m'arrête.  En douceur, à dix mètres. Elle s'avance sans se presser.

- Villeneuve ?

Signe de tête.

- Montez.

D'un moulinet de l'épaule, elle envoie valdinguer son gros sac au pied du siège avant, puis se faufile dans ma voiture. Souple et brusque à la fois. Je démarre, en douceur. Elle met sa ceinture, se cale, fait tomber ses sandales, installe ses pieds en hauteur, près du pare brise. Elle ne dit rien, et moi non plus. Je roule.

A la dérobée, je l'observe. Jeune. Mignonne, boudeuse. Sûre d'elle. Mini jupe très courte, un brin provocatrice avec ses guiboles en l'air. Vulgaire ? Allez, je décide que non.

Au bout d'un temps, elle soupire, se tortille, extirpe un paquet de lucky strike. Briquet, s'en allume une sans m'en proposer.

- C'est une voiture non fumeur, que je dis impulsivement. ça m'a pris comme ça.

Elle me regarde, pour la première fois me semble-t-il.

- T'aurais pu dire ça avant que je l'allume. Presque en rigolant, qu'elle me répond. Pas troublée en tout cas.

Son doigt appuie sur la commande électrique de la vitre, qui s'abaisse, bzz. Elle laisse pendre son poignet à l'extérieur. Rapide, précise. Au bout de ses doigts, la cigarette tressaute mais ne s'envole pas.

Au bout d'un temps, elle soupire à nouveau, s'empare des quelques CD qui traînent dans la boîte à gants.

- T'ain, c'est ringard ta musique !

Mes disques lui font faire la grimace. Elle les remet dédaigneusement dans la boîte à gants.

- Mettez la radio, si vous voulez.
- Nan, ça ira.

Elle ne dit plus rien, et moi non plus.

Au bout d'un temps, toujours le même, j'ai comme l'impression qu'elle sourit. Pour elle-même. Elle doit penser à un truc marrant, que je me dis. Sa jupe descend le long de ses jambes toujours haut perchées. C'est exprès, que je me dis. Mais je n'en suis pas sûr.

Au bout d'un temps, un peu plus long, le panneau Villeneuve.

- Pousse encore un peu jusque l'église. 
 
Bon, je pousse encore un peu jusque l'église, alors, et puis je freine, et puis je m'arrête. En douceur.

- Voilà.
- Merci.

Ah, quand même ? Elle remet ses sandales, ouvre la porte, mais ne sort pas. Sa jupe est toujours très relevée, on ne saurait davantage. Je ne regarde ni de son côté, ni en face de moi, mais vers une sorte de diagonale ambiguë.

- Je ne te plais pas ?

Ah zut, je ne m'y attendais pas, à celle là. Mais avant même que je n'aie décidé si j'allais répondre ou pas, la voilà qui saute au dehors.

- Allez, sois pas triste, de toute façon, t'avais aucune chance, j'aime pas les mecs.

Vlan, la porte, d'un mouvement ample du bras. Elle me sourit, un vrai sourire, puis tourne le dos et se met à marcher d'un pas rapide. 
 
Je démarre. En douceur. 


L'auto-stoppeuse

 

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