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Notes


Textes et musiques...

Deux façons de raconter la même histoire.
 

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15 juin 2009 1 15 /06 /juin /2009 09:09

 

 

- C'est quoi le blues, pour toi ? me demanda Permeke.

Venant de Permeke, qui venait juste de lâcher son Selmer mark VI pour venir boire une Leffe, la question était musicale, bien entendu ; ce qui la rendait d'autant plus inquiétante. Car qui connaît mieux le blues que Permeke, je me le demande. Hors de question de lui fourguer quelques généralités, sa question était d'ordre métaphysique.

- Ecoute, moi je n'en sais rien, mais je peux te dire ce qu'en disait vieux guitariste de Greenwood, chanteur de blues.
- Ouais ? Qui ça ?
- J'ai oublié son nom.
- Putain d'enfoiré, ça vaut bien la peine de savoir lire !

Glissons, glissons, je connais mon zèbre. (Et n'allez surtout pas déduire que Permeke ne sait pas lire.)

- Bon, en gros, ça donnait ça :

 

 

« 
Le blues, c'est comme quand ta femme te quitte pour un autre. Tu te sens mal, alors tu picoles. Et puis un jour, ta femme revient. Sur le coup tu es plutôt content, et puis en même temps, tu ne sais pas trop. Tu éprouves un drôle de sentiment.

Et bien ce sentiment, c'est ça. Quand ta femme s'en va, quand elle revient, c'est le même sentiment : c'est le Blues.
»


 Permeke me regarda un moment. Puis il se leva, et reprit son saxophone pour aller jouer. 

Sans rien dire.

Sans terminer sa bière.


Un certain sentiment

 

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4 juin 2009 4 04 /06 /juin /2009 23:28

La salle était vide, j'aurais pu avoir le film pour moi tout seul. 

Et puis, un couple est entré. Forcément devant, car j'étais au dernier rang, petite salle.

Rires étouffés. Quelques chatouilles, petits bisous, enlacements, baisers mouillés, chevauchement, un fauteuil pour deux, ondulations, soupirs.

Obscurité.

Quelle idée de choisir Nikita Mikhalkov comme fond d'écran à de risibles amours, me dis-je.

Je ronchonne. L'aiguillon de la jalousie, Le snobisme du cinéphile, comme vous voudrez.

Générique, musique.

Je ne regarde pas. Enfin si, je regarde l'écran. Bien sûr, c'est pour cela que je suis là. Pour Mikhalkov. 

Non, bien sûr, je ne regarde pas, pas eux je veux dire, ce n'est pas mon genre, non. L'écran, je regarde, oui. Le film, quoi.

Mais enfin, je les vois ! C'est comme ça. Sans les regarder, je les vois quand même, je vous jure, je n'y peux rien !  Ils sont dans l'écran, ils font l'amour sur l'écran, assis dans la salle et dans les steppes de l'Asie centrale, en même temps, par dessus le film, superposés !

C'est presque, presque... romantique. 

Pfff...


Un film romantique

 

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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 23:28

 

- Tu sais qu'Alice et Pierre se séparent ?

J'étais bien placé pour le savoir, mais je ne voulais pas que cela se sache.

- Sans blague ?
- Alice vient de me le dire. Pierre s'est barré. Il "ne la supporte plus", à ce qu'il paraît.

Mon interlocutrice, c'était Béatrice, la copine d'Alice. Elle me scrutait de ses petits yeux rusés, mais peine perdue, j'en ai vu d'autres.

- Et Alice, elle prend ça comment ?
- Elle est effondrée ! Qu'est ce que tu crois ? Et Mia, on n'en parle pas.
- Elle lui a dit ?
- Pierre lui a dit. Le même refrain : "Je ne supporte plus ta mère", tu vois ça, toi ? Comment veux-tu qu'une gosse de cinq ans comprenne un truc pareil ? Que son père ne supporte plus sa mère ?
- Tu sais, elle s'en est peut-être aperçue...

C'était un peu osé de ma part. Béatrice n'a pas laissé passer.

- Tu déconnes ? A cinq ans ?
- Hmm... tu sais, ça bardait, parfois, entre eux... C'était... vraiment tendu...
- Pas devant Mia, Alice me l'a dit.

Et je pensais... "Même devant Mia", Pierre me l'a dit. Mais qui croire, n'est-ce pas ?

- Et Pierre, tu ne sais pas ou il est, non ?

Le piège, bien sûr.

- Non.

Et le mensonge. Pierre était chez moi, mais il m'avait fait jurer de la fermer, et je peux rien refuser à Pierre. 

- Alice est sûre qu'il a quelqu'un.
- Ah... ?

Et comment, qu'il avait quelqu'un ! Estelle, la soeur d'Alice, marraine de Mia ! Mais Alice aussi avait quelqu'un... et pas n'importe qui, rien d'autre que Guilâd, le copain de Béatrice, celle-là même qui me scrutait de ses petits yeux rusés dans l'espoir d'obtenir l'indice qu'Alice recherchait. La situation était un brin tordue.

- Putain, ça me fout les boules, tout ça... Je les revois, tous les deux, tu te rappelles cette soirée, quand Pierre a joué de la guitare au Sunset avec toi et Claude ? Et Alice qui le dévorait des yeux ?

Oui, je me rappelais... Pierre, Alice, Béatrice, Claude, Guilâd, Moi... Cette soirée... Un parfum d'amour et d'entente éternelle... Pierre avait dédicacé un morceau à Alice, une ballade romantique de sa composition. Alice était montée sur scène et avait embrassé Pierre d'une façon plutôt osée,  au vu de tous. La ballade s'appelait "Mia", et c'est comme cela qu'ils avaient appelés plus tard leur petite fille. 

Alors que je me demandais si j'allais me souvenir de cette mélodie, elle me revint d'un seul coup en tête, presque avec violence. Comme si c'était hier, mais avec le visage interrogatif de Mia en surimpression.


Mia

 

 

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5 avril 2009 7 05 /04 /avril /2009 16:00

Bal

 

En cette fin d'après midi, je déambule sous les lampions, sous les guirlandes de grosses ampoules rouges, jaunes et bleues, dont quelques unes ne fonctionnent pas. On se croirait un quatorze juillet dans les années cinquante, encore que cela ne soit probablement qu'une image anachronique due à mon imagination.

Il y a du monde sans que cela ne soit foule. De mauvais petits hauts parleurs accrochés aux branches d'arbre crachouillent des valses et polkas.

J'observe les gens, ça m'amuse. Je choisis mes têtes, les situations pittoresques.

...Un grand chauve, sec, qui mime en balayant l'air de ses longs bras un truc incompréhensible devant trois types pliés en deux...

...une dame stricte aux lunettes anguleuses, à l'air contrarié, qui officie en solitaire dans son stand, autour de petits cactus décorés...

...une jolie jeune fille noire, souriante, avec un chapeau melon, qui fait des crêpes et qui met beaucoup trop de sucre...

...un petit garçon d'environ trois ans, qui tient par la queue un dinosaure en plastique et qui refuse obstinément de dire bonjour à un gros moustachu grisonnant...

...un couple qui se dissimule maladroitement dans un renfoncement de verdure, la femme en robe de soirée et l'homme habillé en cycliste...

J'entre sous le chapiteau. Il y a là un vrai petit orchestre. L'accordéoniste joue en se dandinant. J'écoute attentivement ce qu'il fait, ses petites arabesques improvisées sont impeccables.

Des gens dansent la valse, d'autres boivent au bar, ou autour d'une table. Mon regard est attiré par une jeune fille ; ou plutôt par le tableau constitué de la jeune fille assise seule, de table en plastique pas très nette, et du verre de vin, dont elle parcourt le bord de l'index, comme s'il était en cristal.

Elle a l'air de s'ennuyer. Des gestes nerveux et impatients la trahissent. Je m'avance vers elle.

- Voulez-vous danser ?

J'ai failli dire "voulez-vous m'accorder cette danse".

Elle me dévisage un moment, hésite, se lève sans grand enthousiasme, mais en souriant tout de même. Je lui tends la main. Mais au moment même ou nos doigts allaient entrer en contact, elle a un brusque mouvement de recul. Son visage s'éclaire subitement. Elle passe vivement devant moi. Je me retourne et la vois aller se jeter dans les bras d'un homme. Je le reconnais, c'est celui habillé en cycliste. 

Je les regarde s'embrasser, puis partir rejoindre les danseurs. Ils valsent.

Je vais boire un verre au bar. Décidément, l'accordéoniste joue vraiment très bien.



Valse du cycliste et de la jeune fille au verre de vin

 

 

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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 22:56

 

- Le saxophone est un instrument Belge ! me dit Permeke, très remonté.
- Un instrument Belge ? Que veux-tu dire ?
- On dit le Jazz, tout ça, Charlie parker... Dizzy Gillespie...
- Euh, Dizzy, c'est pas du sax, c'est...
- Ta gueule !

Venant de Permeke, ce n'est pas bien méchant, il faut juste le savoir. C'est comme un genre de ponctuation. En tout cas, j'ai attendu la suite sans broncher.

- Hé, on dit bien le cor Anglais, hein ?

Il est parfois un peu difficile à suivre, Permeke.

- Euh...
- Le saxophone est un instrument Belge ! Arthur Sax était Belge !
- Adolphe.
- Ta gueule, espèce d'enfoiré, ferme ta gueule !

Contredire Permeke, c'est toujours s'exposer à un peu de lyrisme. Il faut le voir maugréer dans sa barbe grise, lorsqu'il vous traite de tous les noms. Très vite, on ne peut plus s'en passer.

- En fait, ça veut dire quoi, pour toi exactement, un instrument Belge ?

Permeke eut l'air de réfléchir un grand coup. D'ailleurs, il en profita pour vider son verre d'un trait.

- Et bien tu vois, l'accordéon est un instrument français, ok ?

Ne voulant pas compliquer le débat, je fis un petit signe neutre qui pouvait passer pour une approbation. C'est en tout cas comme ça que le perçut Permeke.

- Et bien, c'est pareil pour le saxophone. C'est un instrument Belge et puis c'est tout.

Sur ce, il se leva, reprit son saxophone, et remonta sur scène.


Un instrument Belge

 

 

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5 mars 2009 4 05 /03 /mars /2009 21:17

 

Je ne l'ai pas vu arriver, d'un coup elle était face à moi, éclairée de la lueur bleutée des spots clignotants.

- Vous dansez ? 

Autour de nous, des couples étaient enlacés.

- C'est un slow, ai-je dit, bêtement. 

Elle a souri, m'a agrippé la taille, et s'est aussitôt collée à moi. La sono entonnait un air délicieusement kitsch. J'ai délicatement posé mes mains sur son corps, un peu étourdi. 

- Comment vous vous appelez ?
- Graham, ai-je menti. Un peu de prudence, un peu de jeu.

Elle a paru attendre que je lui repose la question, mais j'en suis resté là. Elle s'est approchée et a chuchoté à mon oreille : 

- Faites-moi danser, Graham.

Sa voix était claire, mais ne parvenait pas à dissimuler totalement la tension qui l'habitait. En fait de danser, c'est elle qui menait l'assaut, ondulant contre moi comme une sirène. J'accentuai un peu la pression de mes bras autour d'elle, mes mains touchant la peau de son dos que sa robe ne couvrait pas.

- Vous voyez le type, là, seul à la table ronde ?

Je regardai celui qu'elle me désignait du menton, un bonhomme qui me parut beaucoup plus vieux quelle, et j'opinai de la tête.

- C'est mon mari.

Ah, son mari. Comme par réflexe, je fus tenté de relâcher un peu mon étreinte, mais, prenant conscience du ridicule de ma réaction, je fis l'inverse.

- Il nous observe, dis-je.

Elle haussa les épaules.

- Il me trompe.

Bizarrement, c'est à ce moment que je me fis la réflexion qu'elle était décidément très séduisante. Son corps contre le mien commençait à produire de l'effet. Je me promis d'être vigilant.

- il me trompe avec une amie, je viens de l'apprendre à l'instant.
- Comment l'avez-vous su ?

Elle posa sa tête sur mon épaule.

- Il m'a dit quelque chose qu'il ne devait pas savoir... Il s'est trahi, comme un imbécile.
- Vous n'avez pas l'air vraiment bouleversée par cette révélation.

Ce qui n'était qu'à moitié vrai, d'ailleurs.

- Ca fait un moment que ça déconne entre nous.
- Je trouve que la musique colle parfaitement à la situation, vous ne trouvez pas ?

Elle me regarda d'un drôle d'air. Pourquoi avais-je dit ça ? Dans le genre propos décalé, ce n'était pas très malin, mais cela correspondait pourtant parfaitement à mon sentiment.

- Venez, dit-elle.

Et elle m'entraîna vers la sortie. Je me laissai faire, docile. Nous fîmes quelques pas à l'extérieur, dans l'obscurité grandissante à mesure que les rumeurs de la salle s'estompaient et que nous nous rapprochions des arbres. Jugeant sans doute que l'endroit était approprié, elle se retourna, et, sans surprise, m'embrassa. Je me prêtai à la chose avec toute la volupté dont je me sentis capable. Mes mains froissèrent sa robe et effleurèrent la dentelle. Quelques soupirs naquirent de part et d'autres. Cependant, lorsqu'elle s'agenouilla, et que ses mains agrippèrent mon ceinturon, je la pris par les poignets et la forçai à se relever.

- Vous ne voulez pas faire l'amour ?

Elle avait une intonation naïve et fraîche. Je ne voulais pas lui faire de peine, encore moins l'humilier, car je savais que cela n'était pas facile pour elle.

- Vous êtes charmante, et il serait certainement très agréable de faire l'amour avec vous.

Je laissai le silence faire un peu son oeuvre conciliatrice.

- Alors ?
- Alors, disons que je préfère renoncer aux plaisirs que vous m'offrez... Pour gagner votre estime.
- Mon estime ?
- Disons, éviter votre mépris.
- Je ne comprends pas.

En fait, dans sa voix, dans son regard, dans toute son attitude, je voyais que nous nous étions compris.

- Je sais que votre mari n'est pas loin. Je sais qu'il nous observe. Je crois savoir pourquoi vous faites cela.

Le plus difficile restait à dire, j'aurais pu en rester là, mais j'avais envie d'aller jusqu'au bout.

- C'est peut-être un jeu érotique entre vous et votre mari, mais... Vous savez, je pense avoir senti que vous n'aviez pas vraiment envie de faire l'amour avec moi. Je pense que c'est votre mari qui vous impose cela, peut-être parce qu'il a du mal à...
- Taisez-vous.

Je me tus, puis je repris, en tachant de plaisanter un peu.

- Je n'ai rien contre les jeux érotiques, mais disons que je préfère en être l'instigateur plutôt que le dindon de la farce.

L'air doux nous enveloppait, et la situation se détendait lentement. Ma compagne avait un petit sourire triste et penaud. Je la trouvai soudain très jeune et très démunie.

- En tout cas, dis-je, je n'oublierai pas ce slow dansé avec vous.
- Merci.

Sa main caressa une dernière fois ma joue, avec une sincérité toute neuve, puis elle se détourna. Je la suivi des yeux un moment. J'avais cette musique kitsch dans la tête, et je me sentais léger.


Slow

 

 

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12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 16:11

Seul, au bord de la falaise, je contemple ces montagnes, ces strates ondulantes colorées d'ocres rouges et de vert argent, couronnées de cônes enneigés.

C'est loin de chez moi, mais je les reconnais, car j'ai vécu ici... Il y a longtemps.
 


Les montagnes


 

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5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 22:26

L'autre jour que m'échinais dans mon jardin à vouloir tirer quelques poireaux du sol gelé, j'ai entendu une drôle de voix m'appeler.

- Hé, Giusepe ! 

Je n'ai d'abord pas compris, puis baissant les yeux, je l'ai vu, assis sur un chou rouge, un petit lutin coiffé d'un bonnet vert.

- Dis moi, Giusepe, pourquoi fais-tu ça ?

J'ai regardé ce qu'il me désignait de sa manche, et comme ce n'était pas très clair, j'en ai conclu qu'il parlait des salades.

- La mâche, Lutin, c'est la meilleure, ai-je dit doctement. Je n'allais pas me laisser impressionner par lutin, surtout si petit.
- Je ne te parle pas de la mâche en particulier. Je te demande pourquoi tu t'embêtes à faire tout ça... toutes ces salades, ces poireaux, ces choux... ça ne fait pas un peu beaucoup ?

Venant d'un lutin, la question m'a un peu étonné. Je lui ai dit, d'ailleurs : 

- C'est une drôle de question, que tu me poses. Pourquoi beaucoup ? Ce que je ne mange pas, je le donne, et ce que je ne donne pas revient à la terre. Tout le monde y trouve son compte.
- Tout le monde, tout le monde...

Il hochait la tête d'un air contrarié.

- Si tu veux, Lutin, je peux t'en donner à toi aussi.
- Vrai ?
- Mais bien sûr. Que veux-tu ?

Il a regardé autour de lui et a dit d'un air décidé : 

- Des choux de Bruxelles.

Et sans plus attendre, il a ôté son bonnet et l'a rempli de choux, disons une petite douzaine de choux, vu la taille de son bonnet. Puis il m'a salué cérémonieusement et s'en est allé en courant, du côté de la grange.

Plutôt gonflé, pour un lutin.



Le petit lutin


 

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29 janvier 2009 4 29 /01 /janvier /2009 23:31

 

La mariée était en blanc et le marié en gris. Il y avait des fleurs plein la cathédrale et des particules sur les cartons d'invitation.

Je leur avais balancé une marche nuptiale en guise d'entrée, à fond la caisse, comme de juste. Il fallait ab-so-lu-ment que les grandes orgues sonnent. Sous les doigts d'un vrai musicien, enfin d'un qui sache jouer. Avec les pieds aussi.

- Merci madame la C., très flatté. Quel programme ?
- Quoi, quel programme ?
- Si vous voulez, je peux rencontrer les futurs mariés pour les aider à choisir les morceaux qu'ils veulent entendre, ça se fait.
- Oh mais, vous pensez, ils n'ont ab-so-lu-ment pas le temps !

Ce que je voulais, on s'en fout, on connaît pas. Un truc qui en jette, qui fasse grandiose, qui fasse solennel, qui fasse riche, qui fasse ils eurent beaucoup d'enfants. Mes respects Madame la C.

Du haut de la tribune, je voyais les choses se dérouler avec la rectitude qui convenait. La chorale paroissiale avait été mobilisée et venait d'interpréter un chant choisi par la Madame la C. (un truc parfaitement nunuche,  horriblement harmonisé, qui avait été chanté lors de son propre mariage avec Monsieur le C. il y a de cela vingt trois ans, et donc pour sa fille, ce serait wonderful si on pouvait le chanter aussi.)

Une jeune fille de la chorale est sortie des rangs et s'est avancée vers le micro pour lire un texte. C'était prévu dans le film, encore un souhait de la C.

Lors de la répétition, deux heures avant la cérémonie j'avais assisté à la désignation - au hasard - de la lectrice par le chef de choeur. C'était tombé sur une jeune fille qui revenait toute fraîche, le matin même, d'un voyage d'étude.

Sa voix claire a rempli les murs. 

"L'amour prend patience, l'amour rend service, il ne jalouse pas..."

 Elle lisait avec application, avec rythme, en faisant des pauses. Les ailes d'un pigeon ont claqué brièvement et le silence s'est reformé.

"Il ne plastronne pas, il ne se gonfle pas d'orgueil..."

Une imperceptible variation de timbre m'a alerté. Elle a brièvement regardé devant elle, a chassé une mèche tombant sur ses yeux.

"Il ne fait rien de laid..."

Sa voix s'est tue. Trop longtemps pour une pause. Elle regardait fixement devant elle et ses mains se sont mises à frémir. Les gens ont quitté leur air recueilli, ont relevé la tête, pour regarder plus attentivement d'où venait cette voix qu'ils n'entendaient plus. Le marié a soudainement sursauté. La mariée a tourné vivement la tête vers lui. Des regards ont jailli de partout. Madame la C. dressant son cou, scrutant l'espace comme un serpent, Monsieur le C. se penchant d'un côté et de l'autre... toute la cathédrale s'est vue traversée de faisceaux de regards, dont j'aurais pu, de la tribune, dresser la cartographie. Tous ont vu le marié pâlir, et elle, la lectrice, le fixer, immobile et stupéfaite.

Une sourde rumeur montait des piliers. La lectrice a tenté de se reprendre.

"Il  ne fait rien de laid, il..."

Mais sa voix avait maintenant la fragilité vacillante du sanglot. Le marié a baissé la tête et la mariée lui a demandé quelque chose en lui donnant  des coups de coude. La lectrice s'est redressée dignement, a montré sans honte les larmes sur son visage. Elle a respiré un grand coup pour dire une dernière phrase.

"L'amour ne fait rien de laid."

 
Puis elle est descendue de l'autel et a traversé la nef, vers la grand porte. Ses pas ont claqué sur la dalle, lentement, puis de plus en plus vite alors qu'elle se mettait à courir.

Je suis retourné m'asseoir à la console. J'ai tiré les
pleins jeux et j'ai fait résonner la cathédrale de toute la puissance de l'orgue.


La lectrice et le marié

 

 

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 19:08

Ligne droite. Difficile de la louper ; de très loin déjà je la voyais comme émerger du bitume, des vapeurs de chaleur. Petite tache de couleur empiétant sur la chaussée, puis de plus en plus précise : une fille. Je ne roule pas vite, je m'approche, elle ne modifie pas sa pose, n'agite pas son pouce. Ok, je la prends. Je m'arrête.  En douceur, à dix mètres. Elle s'avance sans se presser.

- Villeneuve ?

Signe de tête.

- Montez.

D'un moulinet de l'épaule, elle envoie valdinguer son gros sac au pied du siège avant, puis se faufile dans ma voiture. Souple et brusque à la fois. Je démarre, en douceur. Elle met sa ceinture, se cale, fait tomber ses sandales, installe ses pieds en hauteur, près du pare brise. Elle ne dit rien, et moi non plus. Je roule.

A la dérobée, je l'observe. Jeune. Mignonne, boudeuse. Sûre d'elle. Mini jupe très courte, un brin provocatrice avec ses guiboles en l'air. Vulgaire ? Allez, je décide que non.

Au bout d'un temps, elle soupire, se tortille, extirpe un paquet de lucky strike. Briquet, s'en allume une sans m'en proposer.

- C'est une voiture non fumeur, que je dis impulsivement. ça m'a pris comme ça.

Elle me regarde, pour la première fois me semble-t-il.

- T'aurais pu dire ça avant que je l'allume. Presque en rigolant, qu'elle me répond. Pas troublée en tout cas.

Son doigt appuie sur la commande électrique de la vitre, qui s'abaisse, bzz. Elle laisse pendre son poignet à l'extérieur. Rapide, précise. Au bout de ses doigts, la cigarette tressaute mais ne s'envole pas.

Au bout d'un temps, elle soupire à nouveau, s'empare des quelques CD qui traînent dans la boîte à gants.

- T'ain, c'est ringard ta musique !

Mes disques lui font faire la grimace. Elle les remet dédaigneusement dans la boîte à gants.

- Mettez la radio, si vous voulez.
- Nan, ça ira.

Elle ne dit plus rien, et moi non plus.

Au bout d'un temps, toujours le même, j'ai comme l'impression qu'elle sourit. Pour elle-même. Elle doit penser à un truc marrant, que je me dis. Sa jupe descend le long de ses jambes toujours haut perchées. C'est exprès, que je me dis. Mais je n'en suis pas sûr.

Au bout d'un temps, un peu plus long, le panneau Villeneuve.

- Pousse encore un peu jusque l'église. 
 
Bon, je pousse encore un peu jusque l'église, alors, et puis je freine, et puis je m'arrête. En douceur.

- Voilà.
- Merci.

Ah, quand même ? Elle remet ses sandales, ouvre la porte, mais ne sort pas. Sa jupe est toujours très relevée, on ne saurait davantage. Je ne regarde ni de son côté, ni en face de moi, mais vers une sorte de diagonale ambiguë.

- Je ne te plais pas ?

Ah zut, je ne m'y attendais pas, à celle là. Mais avant même que je n'aie décidé si j'allais répondre ou pas, la voilà qui saute au dehors.

- Allez, sois pas triste, de toute façon, t'avais aucune chance, j'aime pas les mecs.

Vlan, la porte, d'un mouvement ample du bras. Elle me sourit, un vrai sourire, puis tourne le dos et se met à marcher d'un pas rapide. 
 
Je démarre. En douceur. 


L'auto-stoppeuse

 

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